" The Tree of Life " (Terrence Malick)

Publié le par Matthieu Méjevand

 

 

 

The Tree of Life . Terrence Malick

Cinquième film en presque 40 ans de carrière, l'oeuvre de Terrence Malick a remporté la Palme d’or au 64e festival de Cannes. Très attendu, le film n’a pas rencontré un avis unanime : chef d’œuvre pour les uns, raté pour les autres, The Tree of Life provoque des réactions fortement contrastées.

 

 C’est à la fois une surprise et une évidence: le dernier film de Terrence Malick, The Tree of Life, a remporté dimanche la Palme d’or lors de la 64e édition du festival de Cannes. Une évidence, parce que l’œuvre était attendue, désirée, et que la filmographie du cinéaste tenait jusqu’alors du parcours sans faute. Une surprise parce que - que ce soit à la fin de la projection cannoise ou dans les critiques - le film de Terrence Malick avait reçu un accueil mitigé, équivoque, voire franchement hostile.

 

Pourquoi un tel déchirement? C’est sans doute parce que The Tree of Life est bouleversant. Le film s’articule sur plusieurs plans, celui, particulier, d’une famille de la classe moyenne aux Etats-Unis dans les années 1950, et en même temps au niveau cosmogonique, métaphysique, mystique, dans toute la complexité générale de l’univers, et passe de l’un à l’autre sans respecter d’ordre ou de temporalité précise.

Bouleversant toujours, parce que des images se suivent, s’enchaînent, accompagnées de musiques glorieuses, de sons merveilleux, et d’une suite de questions chuchotées sur le sens du monde, de la vie, et de la mort bien sûr. Tout cela forme une œuvre qui ne ressemble à rien de connu, et qui s’acharne à ne pas respecter les codes formels et les conventions du genre. Bouleversant au sens propre donc, parce qu’inhabituel, hors du commun, inclassable.

 

Mais le film est aussi bouleversant au sens figuré. C’est une œuvre de génie qu’a conçu avec patience Terrence Malick, à l’abri des médias, des paillettes et de toute les mondanités de l’industrie hollywoodienne. Un regard sur la grâce, la nature, la quête de sens et de Dieu. C’est en substance le meilleur résumé que l’on peut donner à The Tree of Life. Une tentative de toucher, d’effleurer brièvement Dieu, d’en rendre compte. Et c’est sans doute en ce sens que le film est le plus bouleversant: il n’y a pas d’ambition plus terrible que de vouloir accéder à la grâce divine, de volonté plus audacieuse que de révéler Dieu aux yeux des spectateurs. C’est ce à quoi s’est attaché Terrence Malick, c’est ce à quoi il tendait: c’est sans doute ce qu’il a réussi à atteindre.

Bouleversant sous ces deux aspects, le film ne pouvait que recevoir un accueil circonspect. D’un côté, les critiques ont unanimement salué le génie technique du cinéaste, sa capacité à filmer la nature, le monde et les hommes avec virtuosité, élégance et brio. Le côté cosmique, la quête incessante du divin a par contre pesé, les images, qualifiées de pompeuses, hautaines, ont dérangé, au point même de provoquer des réactions de rejet inhabituellement violentes (le film a été hué à la fin de sa projection cannoise par une partie de la salle).

D’un autre côté, beaucoup ont apprécié la poésie, ces plans emprunts d’un mysticisme constant, mais n’ont pas su relier les éléments cosmogoniques, la nature sans cesse détaillée avec émerveillement, à l’histoire de cette famille américaine qui subit le choc de la mort d’un de ses membres, et qui se déchire entre la douceur inaltérable de la mère et la sévérité intransigeante du père. Le film a alors été qualifié de brouillon, inégal, inconstant. D’un côté comme de l’autre, il semblait manquer quelque chose, le film paraissait insaisissable, inabouti.

Les deux niveaux du film forment un tout indissociable qui donne à l’œuvre son caractère profond, puissant et hors du commun. C’est un double regard que propose Malick: le point de vue d’une famille parmi des millions d’autres, qui subit la perte tragique de l’un de ses membres, et qui ne peut accepter une telle injustice. Le père, avant même ce drame, est un être frustré, rempli d’amour pour les siens mais qui n’a pas su trouver la clé de la grâce, qui n’a pas su allier la dureté de la vie telle que la nature l’ordonne avec ses appétits de transcendance: il est un homme blessé, aigri, injustement sévère avec sa famille. A l’inverse, la mère est amour pur, bonté, douceur, toute entière dévouée à ses enfants; un parfait exemple de la grâce accomplie. Au milieu grandissent trois frères, proches, tendres et cruels à la fois. Un tableau d’une famille typique des années 1950.

L’autre point de vue qu’offre Malick est celui de l’univers tout entier. Là, le cinéaste nous offre des plans de l’immensité, de la nature en fusion, des étoiles, des volcans, des dinosaures. C’est toute la vie, la vie au sens complet du terme, qu’esquisse Malick et qu’il entrecoupe de musiques et de questions fondamentales. L’un et l’autre point de vue s’enchaînent et se répondent du début à la fin du film. Ainsi, le destin particulier d’une famille ne peut être dissociée du reste de l’univers.

Le sens d’une vie précise, d’un destin, doit s’inscrire dans l’infini des existences, dans la totalité de la création. C’est - et Terrence Malick n’a de cesse de nous le prouver - en reliant la famille au reste de l’univers, en mélangeant ces petits hommes avec la grandiose nature que Dieu prend vie, qu’il prend sens, qu’il fait sens. Toute la beauté du film réside dans ce va-et-vient constant, qui n’a au fond qu’un seul but: illustrer la grâce du Seigneur, la rendre visible aux yeux du spectateur. C’était une idée folle, que seul un cinéaste comme Terrence Malick pouvait tenter de mettre en oeuvre. Force est de constater qu’il a réussi.

 

Matthieu Mégevand, pour "Le Monde des Religions" ( lien )

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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